Troubles bipolaires : qu’est-ce que c’est ?

Les troubles bipolaires sont des troubles de l’humeur pouvant évoluer vers un mode chronique, et caractérisés par une alternance entre des phases d’exaltation de l’humeur, avec augmentation de l’énergie et des activités (phases « maniaques » ou « hypomaniaques »), et des dégradations de l’humeur (phases « dépressives »). Les différentes phases, aussi appelées « épisodes », entrecoupent des périodes dites « d’euthymie » plus ou moins longues, où l’humeur est stable et équilibrée. 
Jusqu’au XVIIe siècle, la manie est considérée comme une forme de terminaison de la mélancolie. La dimension dépressive domine donc déjà alors dans la maladie, l’inversion de l’humeur signant le rétablissement, sinon la guérison. C’est seulement à partir de Thomas Willis (1622-1675) que les deux états sont mis sur le même plan et peuvent alterner « comme la flamme et la fumée ».
 

Un peu d’Histoire

Des descriptions anciennes de tableaux évocateurs de manie ou de dépression ont été proposées dès l’antiquité. Reposant sur sa théorie des humeurs, Hippocrate a décrit la transformation de la mélancolie en manie. C’est Arétée de Cappadoce, médecin de la période antique romaine (Ier siècle ou IIe siècle après J.C.), qui, en décrivant l’alternance successive de la mélancolie (du grec « melas kholé », ou bile noire) vers la manie (folie, en grec), a proposé l’existence d’un lien potentiel entre ces deux tableaux. 
L’approche hippocratique et les travaux de Galien influenceront pendant des siècles les théories médicales. De ce fait, peu de données nouvelles sont venues changer les points de vue sur ces troubles. 
En effet, jusqu’au XVIIe siècle, la manie était considérée comme une forme de terminaison de la mélancolie. La dimension dépressive dominait donc déjà alors dans la maladie, l’inversion de l’humeur signant le rétablissement, sinon la guérison. Parallèlement, les travaux en physiologie expérimentale avaient invalidé progressivement la théorie des humeurs et un auteur comme Théophile Bonet, pourtant tourné vers l’anatomopathologie, renforça l’idée que manie et mélancolie étaient liées. 
C’est seulement à partir de Thomas Willis (1622-1675) que les deux états furent mis sur le même plan et purent alterner « comme la flamme et la fumée ». Plus tard, les psychiatres « classificateurs » du XIXe siècle ont cherché à mieux caractériser l’organisation des symptômes entre eux et ont montré de l’intérêt pour cette maladie, ce qui a donné lieu à de nombreuses dénominations. Falret évoqua par exemple la « folie circulaire », Baillarger la « folie à double forme ». C’est le psychiatre Allemand Emile Kraeplin qui, en 1889, parlera en premier de la maladie « maniaco-dépressive ». Deux psychiatres français, Deny et Camus, remplaceront le terme « maladie » par celui de « psychose », pour donner la « psychose maniaco-dépressive ».
Cette terminologie a fait l’objet de nombreux débats, car l’existence d’une dimension psychotique n’est pas systématique. Le deuxième problème en lien avec cette dénomination est qu’elle regroupait en définitive toutes les formes de troubles de l’humeur, qu’ils soient bipolaires ou unipolaires (dépression seules). C’est dans cette optique, entre autres, que le terme « trouble bipolaire » sera proposé à la fin des années 1950, pour favoriser la distinction entre ces entités et leurs causes probables, que l’on supposait en partie distinctes.


Selon les chiffres de la Haute autorité de santé (HAS), en France, la prévalence du trouble bipolaire est estimée autour de 1 % à 2,5 % dans la population générale, mais plusieurs auteurs estiment que cette prévalence est possiblement sous-évaluée. Les troubles bipolaires sont des maladies complexes, parfois difficiles à diagnostiquer (on estime le retard diagnostic à presque 8 ans) et à traiter. Pour poser le diagnostic d’un type de bipolarité, quel qu’il soit, un bilan médical rigoureux est nécessaire pour éliminer toutes les autres causes.

Le traitement du trouble bipolaire combine deux approches : un traitement de fond et un traitement symptomatique adapté aux besoins de chaque patient.

Quelles sont les phases de la bipolarité ?

Avant de rentrer dans les détails des différents types de bipolarité, revenons sur la signification des termes « maniaque », « hypomaniaque » et « dépression », souvent confondus, ainsi que sur certains concepts (mixité, cyclicité, etc.).
 

La phase d’excitation ou phase maniaque 

Dans les phases de manie, l’humeur de l’individu est anormalement élevée au cours d’une période nettement délimitée dans le temps, d’au moins 7 jours consécutifs. Cette limite de temps n’est néanmoins pas prise en compte en cas d’hospitalisation, l’intensité des symptômes étant suffisante pour poser le diagnostic. Plusieurs symptômes qui tranchent avec l’état habituel doivent également être présents.

Lors de cette phase, les patients peuvent ressentir un important sentiment de bien-être, pouvant aller jusqu’à l’euphorie, associé à une augmentation de l’énergie importante, au point : 

  • d’avoir moins besoin de dormir sans ressentir de fatigue par la suite ;
  • de se sentir comme une « pile électrique », voire très agités ;
  • de s’investir dans un grand nombre d’activités qu’ils ne faisaient pas ou peu habituellement ;
  • de faire plus d’activités physiques ;
  • d’être plus sociable, d’avoir plus envie de sortir, de faire la fête et de rencontrer de nouvelles personnes ;
  • d’avoir davantage de capacités intellectuelles pour travailler ou étudier ;
  • d’avoir les pensées qui vont plus vite, les idées qui fusent, parfois au point d’être plus distrait.


D’autres symptômes sont possibles, comme : 

  • une augmentation du débit de parole au point que les autres peuvent le remarquer ;
  • une augmentation excessive de l’engagement dans des activités agréables, mais parfois à risques, tels qu’une consommation excessive de nourriture, une consommation de tabac, d’alcool et d’autres toxiques, des rapports sexuels (parfois non protégés), une conduite automobile plus sportive que d’habitude, des achats compulsifs, des jeux d’argent, etc.

Pendant cette phase de manie, certains patients peuvent se sentir plus irritables au lieu de se sentir plus joyeux (on parle alors de « manie irritable »). Les patients peuvent également avoir une augmentation importante d’estime et de confiance en eux. Ils peuvent se sentir très importants et avoir l’impression que leurs idées sont géniales. Dans un certain nombre de cas, cela peut aller jusqu’à des idées délirantes de mégalomanie.

Au-delà du délire, d’autres symptômes peuvent avoir des caractéristiques dites « psychotiques » (hallucinations, sentiment de persécution, etc.). C’est d’ailleurs pour cette raison que, dans le passé, les troubles bipolaires étaient appelés « psychose maniaco-dépressive ». Le Dr Bourla explique que, parfois, les symptômes sont tellement sévères que le patient perd le contact avec la réalité. On parle alors d’épisode maniaque avec caractéristiques psychotiques. 

De plus, même en absence d’éléments psychotiques, le patient n’est pas toujours conscient de se trouver dans une phase maniaque. Il ne s’agit pas forcément de déni, mais plutôt d’anosognosie (le cerveau n’est pas conscient de son propre état). 

Dans tous les cas, pour parler d’épisode, il faut que les symptômes se manifestent à un niveau significatif, avec un important retentissement sur le fonctionnement de l’individu, et qu’ils représentent un changement notable par rapport à son comportement habituel. En général, ces épisodes, notamment s’ils ne sont pas traités rapidement, nécessitent une hospitalisation.
 

Différence entre manie et hypomanie 

Ce qui différencie principalement les phases de manie et d’hypomanie, c’est l’intensité des symptômes. L’hypomanie correspond à une forme atténuée de la manie (elle signifie d’ailleurs « petite manie ») et échappe parfois à toute prise en charge, car ces épisodes peuvent passer inaperçus. Le Dr Bourla précise que les retards de diagnostic sont donc très fréquents, les patients ont simplement l’impression d’aller très bien, mais en réalité ils vont presque « trop » bien.
 
Contrairement à l’épisode de manie, la sévérité de l’épisode d’hypomanie n’est pas suffisante pour entraîner une altération marquée du fonctionnement professionnel ou social de l’individu, ou pour nécessiter une hospitalisation. Au contraire, l’épisode d’hypomanie peut être ressenti comme « bénéfique », car l’individu est parfois plus productif, plus créatif, plus rapide, plus performant.
 
L’épisode maniaque, lui, est beaucoup plus sévère, plus intense, et les retentissements dans la vie de l’individu peuvent être très importants avec un fonctionnement parfois très altéré, impactant sa vie professionnelle et sociale. S’il y a présence de caractéristiques psychotiques (idées délirantes, hallucinations et trouble de la pensée formelle), l’épisode est, par définition, maniaque.

Pour poser le diagnostic d’un épisode maniaque, les symptômes doivent être présents au moins pendant une semaine. Pour celui d’un épisode d’hypomanie, les symptômes doivent être présents au moins 4 jours consécutifs.     
     
Voici un tableau récapitulatif pour distinguer aisément les différences entre ces deux types de phases : 

Hypomanie

Manie

Durée minimale

4 jours minimum

7 jours (sauf en cas d’hospitalisation, où l’intensité des symptômes suffit à poser le diagnostic)

Intensité des symptômes

Atténuée

Élevée

Symptômes psychotiques

Absents

Possibles

Fonctionnement psychosocial

Intensité trop faible pour entraîner une altération marquée du fonctionnement

Altération marquée du fonctionnement

Hospitalisation

Relative, indiquée selon le contexte

Indiquée

La phase dépressive

Lorsque celle-ci se met en place, les symptômes dépressifs suivants peuvent apparaître en quelques jours ou quelques semaines :

  • un excès d’affects négatifs (tristesse, accablement, angoisses, douleur morale…) ;
  • une démotivation, une perte de la sensation de plaisir (anhédonie) ;
  • des troubles du sommeil, de l’appétit, de la libido ;
  • une fatigue intense et un ralentissement psychomoteur important ;
  • des idées suicidaires fréquentes… 

Dans certains cas, la dépression est si intense que des caractéristiques psychotiques peuvent émerger (idées de ruine, de déchéance, paranoïa, hallucinations, etc.). La phase dépressive de la bipolarité peut parfois suivre une phase hypomaniaque ou maniaque. 

Le Dr Bourla souligne que, classiquement, plus l’épisode de manie a été haut, plus la dépression peut être profonde, même si ce n’est pas toujours le cas. Elle peut également avoir certaines « atypicités » (sensibilité saisonnière, caractéristiques dites « atypiques » de la dépression, etc.). 

Les phases dépressives des troubles bipolaires peuvent durer plusieurs semaines à plusieurs mois. 
 

Les phases mixtes 

Plus complexes, ce sont des phases qui mélangent tous les types de symptômes : hypomanie ou manie et dépression. L’humeur de l’individu est variable et tous les cas de figure s’observent. Il peut être à la fois très actif, agité, avoir plein d’idées et de pensées et ressentir en même temps une tristesse intense. À l’inverse, il peut être en excitation psychique et ressentir une fatigue extrême, etc. Ces phases sont parfois très difficiles à diagnostiquer.
 

Comprendre la fréquence des cycles 

La fréquence des cycles est très variable d’un individu à l’autre. Certains connaîtront un seul épisode dans leur vie, d’autres beaucoup plus. Certains individus auront des cycles saisonniers, par exemple des phases d’exaltation l’été et des phases de déprime l’hiver. Plus rarement, cela peut être l’inverse. Il existe également des troubles bipolaires à cycles rapides, avec plus de 4 épisodes par an. C’est l’une des formes de bipolarité les plus difficiles à soigner. 

Plus un individu connaît d’épisodes, plus il a le risque d’en connaître d’autres. C’est pourquoi, plus la maladie est prise en charge tôt, plus il y a des chances que l’individu retrouve une vie sans symptômes et que la fréquence des cycles diminue.

Quels sont les types de bipolarité ?

On distingue trois types de bipolarité : la bipolarité de type 1, la bipolarité de type 2 et la bipolarité de type 3. Pour autant, cette dernière a été retirée du DSM-5, qui ne distingue que la bipolarité type 1 et type 2. 

On parle actuellement de « spectre de la bipolarité », c’est-à-dire un continuum qui va des formes les plus « classiques », celles que l’on peut voir dans les films, à des formes beaucoup plus atténuées. 
 

La bipolarité de type 1 

Le trouble bipolaire de type 1 est caractérisé par la présence d’au moins un épisode maniaque ou mixte. L’épisode maniaque peut avoir été précédé (ou non), et suivi (ou non) par un épisode dépressif caractérisé.
 
Le risque de la bipolarité de type 1 est double : les phases maniaques peuvent avoir un retentissement majeur (prise de risque, épuisement, délire, etc.), et il en est de même pour les phases dépressives (risque suicidaire). Les épisodes dépressifs majeurs sont courants, mais ne sont pas nécessaires pour établir un diagnostic du trouble bipolaire de type 1.

Le Dr Bourla explique qu’il s’agit d’un diagnostic qui est parfois refusé par les patients qui ne comprennent pas pour quelle raison on parle de bipolarité alors qu’ils n’ont fait qu’un seul épisode maniaque, parfois 20 ans plus tôt. C’est effectivement une notion délicate à aborder, pourtant il faut comprendre que tous les cerveaux n’ont pas la « capacité » de faire un épisode maniaque, et donc le fait d’en avoir fait un seul, même très lointain, suffit pour parler de ce trouble. 
 

La bipolarité de type 2 

Le trouble bipolaire de type 2 se caractérise par l’association d’au moins un épisode dépressif caractérisé et d’un épisode d’hypomanie. Là encore, il est difficile pour certains patients en phase dépressive d’envisager ce diagnostic, car le lien avec un épisode hypomane connu parfois 10 ans plus tôt n’est pas évident.    

Le danger de ce trouble est essentiellement celui de l’épisode dépressif (risque suicidaire), car les épisodes hypomanes sont plutôt bien vécus. Les patients les trouvent généralement très agréables, sauf en cas d’hypomanie irritable.  
 

La bipolarité de type 3

Dans ce trouble, les patients ne présentent que des épisodes maniaques ou hypomaniaques induits par une substance. Généralement, la bipolarité de type 3 se révèle suite à la prise d’un antidépresseur. Par exemple, l’individu est soigné pour une dépression et la prise d’antidépresseurs, au lieu d’améliorer son humeur, déclenche une phase hypomaniaque ou maniaque.
 

La cyclothymie 

Il existe des formes atténuées de la bipolarité (du spectre bipolaire), dont la cyclothymie fait partie. La cyclothymie se caractérise par une alternance de phases d’exaltation et de dépression très rapprochées. Ces différentes phases peuvent survenir d’une journée à l’autre et parfois même dans une seule journée. 

Les symptômes d’hypomanie et les symptômes de dépression ne sont pas assez sévères pour rencontrer les critères diagnostiques des épisodes d’hypomanie et de dépression caractéristiques de la bipolarité de type 2. Toutefois, ces symptômes entraînent une souffrance importante chez les patients et altèrent le fonctionnement de leur vie de manière significative dans différents domaines.

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