Qu’est-ce qu’un comportement addictif ? Comment se crée l’addiction et comment s’en défaire ? Ce qu’il faut savoir sur les troubles et comportements addictifs avec le Dr de La Chapelle, psychiatre au Centre lyonnais de psychiatrie ambulatoire du groupe Inicea.

Qu’est-ce qu’un comportement addictif ?

Le comportement addictif est caractérisé par un besoin excessif et obsédant de consommer une substance (trouble addictif lié à une substance) ou de pratiquer une activité en particulier (addiction comportementale). Un comportement addictif va se répéter, souvent s’aggraver, avec l’apparition progressive et plus ou moins rapide de conséquences négatives (physiques, psychiques, familiales, professionnelles, sociales…) sur la vie de la personne affectée. L’impossibilité répétée de contrôler ce comportement et la poursuite de ce dernier en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives signent l’addiction.

Le Dr de La Chapelle précise qu’une personne qui consomme une substance psychoactive comme le tabac, le cannabis ou encore l’alcool, ne va pas forcément développer un trouble addictif. L’addiction naît de la rencontre entre 3 facteurs :

  • Une substance ou une activité qui va créer une forte stimulation, un fort ressenti chez l’individu, du fait de ses propriétés pharmacologiques. Certaines substances sont très addictives d’emblée (héroïne, cocaïne), tandis que d’autres le sont plus progressivement (cannabis, ecstasy et alcool). 
  • Une vulnérabilité génétique et/ou psychologique liée à la personne elle-même.
  • Des facteurs environnementaux, c’est-à-dire un moment de vie particulier et/ou des situations, un entourage, qui favorisent l’apparition du comportement addictif.


Les professionnels de santé parlent de comportement addictif lorsqu’il y a une altération du fonctionnement de la personne ou une souffrance clinique, observée sur une période de 12 mois. 

Bon à savoir
L’addiction est un terme issu du latin addictere. Essentiellement juridique, celui-ci faisait référence à « une contrainte par corps » : le jugé mettait son corps en gage pour réparer un préjudice ou rembourser une dette.


Modèle cognitivo-comportemental des addictions

Le Dr de La Chapelle explique que « l’on ne naît pas addict, mais on apprend à le devenir ». Le comportement addictif se développe ainsi de plusieurs façons.

Un stimulus positif

Un individu va prendre une substance qui va entraîner chez lui une sensation de bien-être. Par exemple, en consommant de l’alcool, il va ressentir une certaine euphorie et une désinhibition agréable. Il va donc associer l’alcool à une expérience positive et anticiper cela sous forme d’excitation (ou tout autre vécu physiologique créant de l’envie de consommer) dès qu’il entrera à nouveau en contact avec le produit. Progressivement, il deviendra attiré par le produit et tout ce qui le lui rappelle de près ou de loin. D’une manière générale, plus la réaction initiale d’une personne lors de sa première exposition est vécue positivement, plus le risque d’apparition d’une dépendance ultérieure est élevé. 

Des renforcements

Une personne peut également développer un comportement addictif et voir des conséquences apparaître, venant renforcer le trouble. Celles-ci peuvent être de deux types :

  • Les effets positifs :

La consommation d’un produit ou la réalisation d’une activité engendrent des conséquences positives comme du plaisir, de la détente. C’est pourquoi l’individu va chercher à les reproduire. Ces renforcements positifs vont provoquer la répétition de l’activité.

  • La lutte contre les  effets négatifs :

Plus l’individu est engagé dans son addiction, plus il va consommer le produit ou réaliser l’activité. Pas par envie, mais pour soulager des effets négatifs de l’absence de consommation ou d’arrêt de l’activité. Peu à peu, le soulagement de son mal-être – engendré paradoxalement par les conséquences négatives de ses consommations – va devenir la principale raison de son comportement addictif. À terme, il va consommer ou réaliser une activité uniquement pour apaiser son manque. C’est l’étape ultime de l’addiction. Dans certains modèles, on considère que l’addiction se situe et évolue entre ces deux pôles renforçateurs.

Un apprentissage social

L’apprentissage social est souvent considéré comme la première porte d’entrée vers l’addiction. C’est particulièrement le cas chez les adolescents et les jeunes adultes qui, sous l’influence de leur entourage et pour se sentir appartenir à un groupe, vont consommer certaines substances par imitation.
Le Dr de La Chapelle prend l’exemple de la consommation d’alcool qui, dans notre société, est extrêmement banalisée, et prend une dimension quasiment culturelle. On peut facilement se sentir marginalisé si l’on ne boit pas d’alcool. Il existe donc une forme de pression, consciente ou non, pour consommer. Pourtant, la consommation d’alcool, même modérée, représente un risque d’alcoolisme. En effet toute consommation de substance psychoactive expose à des risques pour la santé et/ou des complications (par exemple un accident ou des violences) et/ou une dépendance. 
Par ailleurs, l’adolescence est une période critique en termes de vulnérabilité et propice au développement de comportements addictifs. Problème : le cerveau n’a pas encore atteint sa maturation et est donc particulièrement fragile face à certains toxiques. C’est pourquoi le travail de prévention et de sensibilisation aux conséquences des comportements addictifs sur les jeunes est primordial.

Que se passe-t-il dans le cerveau ?

La mise en place d’un comportement addictif avec ou sans produit implique plusieurs composantes.
 

L’activation du circuit de la récompense

La consommation d’une substance ou la réalisation d’un comportement vont générer une stimulation excessive de certaines zones du cerveau, dont l’interconnexion représente un « circuit de la récompense ». Ce circuit est activé en permanence. C’est grâce à lui que l’espèce humaine trouve la motivation nécessaire à la réalisation des comportements indispensables à sa survie, tels que manger, boire, se reproduire...
Le circuit de la récompense est un ensemble de neurones organisés en réseau. Il est stimulé lorsque les récepteurs de certaines molécules sont activés. La principale molécule du circuit de la récompense est la dopamine, responsable de la motivation tant sous sa forme émotionnelle (plaisir) que motrice. D’autres molécules sont indirectement impliquées, par exemple les endorphines ou la sérotonine.
Les comportements addictifs avec ou sans produit vont augmenter de manière exponentielle la transmission de ces molécules aux neurorécepteurs et provoquer un signal de bien-être fort. Très rapidement, le cerveau apprend à reconnaître qu’un comportement addictif (comme la toxicomanie) entraîne un stimulus positif important. Cette capacité à discriminer ce signal « unique » va centrer puis restreindre la motivation de l’individu sur la réalisation de cette activité. Il va devenir focalisé  sur la réalisation de cette pratique, laissant de côté toutes les autres…


Un dérèglement de la prise de décision

L’intensité de la stimulation positive du comportement n’explique pas à elle seule l’addiction. D’autres zones du cerveau vont être également remodelées, voire endommagées par la prise d’un produit ou la réalisation d’un comportement. 
Ces zones interviennent normalement dans la prise de décision d’un individu. Or, face à la stimulation répétée par une pratique spécifique, elles se remodèlent progressivement, jusqu’à diminuer significativement les capacités d’inhibition de certains comportements. La personne développe une envie irrépressible de consommer (craving) , une impossibilité d’interrompre son action une fois celle-ci entamée, ou d’être capable de la restreindre.


Des ressentis négatifs

Des produits comme l’alcool sont tellement actifs sur certaines zones du cerveau qu’ils diminuent très fortement les capacités d’un individu à gérer son stress. N’étant plus capable de le soulager de manière « normale », il va consommer le produit pour apaiser ses ressentis négatifs. Le Dr de La Chapelle explique qu’un cercle vicieux de la dépendance se met alors en place.


Une tolérance accrue  

Le cerveau s’adapte en permanence à ces comportements répétitifs qui deviennent la nouvelle norme. Dès l’arrêt du comportement addictif, le cerveau va émettre des signaux d’alerte qui incitent l’individu à consommer de nouveau pour retrouver un certain équilibre.
Peu à peu, les neurones « se défendent », en augmentant le nombre de récepteurs du produit. La proportion de récepteurs occupés va alors réduire, donc générer un déficit de récompense. Ce dernier engendrera de la souffrance et obligera l’individu à répéter plus souvent et plus intensément son comportement addictif pour obtenir le même degré de plaisir.

En résumé
Le développement d’une addiction entraîne des modifications neurobiologiques en cascade dans 4 grands systèmes 

  • celui de la récompense, composé essentiellement de neurones dopaminergiques ;
  • celui du contrôle des comportements, impliquant les régions corticales préfrontales ;
  • celui la mémoire, avec l’atteinte du système limbique ;
  • celui du stress, avec une perturbation de l’activité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.

La modification de fonctionnement de ces 4 systèmes explique l’impact des addictions sur le plaisir, la motivation, la mémoire, le conditionnement, les fonctions exécutives, le jugement, le contrôle de soi et la réaction au stress. 

Quelles sont les différentes formes d’addiction ?

Sous le mot « addiction », on peut retrouver un ensemble de conduites, de pratiques ou de comportements addictifs très différents. On en distingue deux : ceux relatifs aux substances psychoactives et ceux liés à des activités ou des comportements spécifiques.


Les addictions liées à une substance

Parmi les comportements addictifs impliquant des substances psychoactives, on retrouve :

  • l’abus de tabac ;
  • la consommation excessive d’alcool ;
  • l’usage dérivé de médicaments (morphine, anti-douleur, stimulant sexuel, anxiolytiques, etc.) ;
  • le recours à des drogues illicites (cannabis, héroïne, cocaïne, amphétamines, dérivés de synthèse tels que méthamphétamine, chemsex, etc.).

Ces substances altèrent souvent la conscience ou la manière de percevoir les choses et peuvent déclencher des sensations que l’individu juge agréables. La personne qui consomme ce type de substances s’expose toutefois à des conséquences somatiques et sociales, propres à chaque produit et à chacun, mais qui peuvent être très importantes.


Les addictions sans substance

D’autres addictions sont en lien avec un comportement irrépressible et incontrôlé, comme :

  • les jeux de hasard et d’argent ;
  • les jeux vidéo ;
  • le sexe et la pornographie ;
  • l’exercice physique ;
  • les achats compulsifs ;
  • les relations affectives avec autrui…

Le Dr de La Chapelle précise que pratiquement tous les comportements humains peuvent aboutir à une dépendance. Il ajoute qu’à l’ère du digital, tout est facilité et accessible 24h/24, ce qui accélère encore l’évolution vers l’addiction et la variété des comportements addictogènes. En outre, les réseaux sociaux utilisent des renforçateurs, tels que les « likes » et notifications. Ceux-ci agissent comme des bonus de dopamine : ils s’apparentent à des micro-récompenses répétées, que le cerveau va juger de plus en plus indispensables.
Par ailleurs, les troubles du comportement alimentaire (TCA) comme l’anorexie et la boulimie sont considérés, par certains aspects, comme des addictions comportementales.

La prise en charge des troubles addictifs

La première étape vers la guérison est la prise de conscience du trouble par la personne et sa motivation à se soigner. Par ailleurs, la prise en charge d’un comportement addictif doit être pluridisciplinaire, associant souvent psychothérapie et traitement médicamenteux. Selon les situations, la prise en charge peut se faire à l’hôpital (temps plein ou hôpital de jour) ou en consultation.


L’accompagnement des comportements addictifs en hôpital de jour  

Le Dr de la Chapelle explique que l’accompagnement en hôpital de jour est une bonne option si la personne est capable de contrôler sa consommation, voire de l’arrêter totalement. La prise en charge en hôpital de jour permet aux patients de : 

  • bénéficier d’un accompagnement personnalisé et adapté à leur pathologie par une équipe pluridisciplinaire ;
  • travailler de façon optimale sur la réduction de la consommation ou la prévention d’une rechute. 

Dans d’autres cas, l’hospitalisation sera nécessaire, car le comportement addictif est trop fort pour que le patient puisse s’en sortir sans une prise en charge totale. L’importance des envies peut être telle qu’il lui est impossible de moduler et d’arrêter ses consommations hors d’un environnement protégé. Par ailleurs, l’arrêt brutal de certaines substances psychoactives peut être dangereux pour le patient, notamment au niveau cérébral. Une surveillance médicale et des traitements particuliers sont alors impératifs.


La psychothérapie

Les psychothérapies ont pour objectif de travailler sur les mécanismes de l’addiction du patient, les effets du sevrage et les risques de rechute. Celles-ci peuvent être individuelles, et prendre la forme d’une psychothérapie de soutien ou d’une thérapie cognitivo-comportementale (TCC).
La TCC permet de comprendre quelle est la fonction de l’addiction et comment un comportement se maintient, et d’apporter des outils alternatifs à la prise de produit. Cette dernière est l’une des psychothérapies les plus efficaces dans la prise en charge des comportements addictifs. Elle permet de travailler la motivation, à changer de comportement. 
La thérapie peut également être familiale ou se dérouler en groupe, selon la situation et le besoin du patient.


La prise en charge médicamenteuse

La prise en charge médicamenteuse dépend du type d’addiction. Pour certaines substances, il existe des traitements de substitution, par exemple pour les opiacés et la nicotine. Il existe également des traitements visant à réduire l’envie ou le craving (traitements addictolytiques). Enfin certains traitements peuvent être proposés pour diminuer l’impulsivité, l’anxiété ou les symptômes dépressifs (par exemple les traitements antidépresseurs), qui sont des symptômes favorisant les conduites addictives.  
Pour autant, ces médicaments ne fonctionnent pas sur tout le monde. C’est pourquoi ils doivent obligatoirement être associés à un suivi psychologique.

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