Une étude de Frédérique R E Smink, Daphne van Hoeken et Hans W Hoek fait toutefois un constat plus alarmant, considérant que jusqu’à 4 % des femmes pourraient souffrir d’anorexie mentale au cours de leur vie. Cette maladie très complexe dépend de facteurs individuels et socioculturels aggravés par un contexte social et médiatique où la minceur est survalorisée.
ll s’agit d’une maladie grave avec au taux de mortalité à 10 ans de 5 %, lui conférant le triste titre de maladie psychiatrique au taux de mortalité le plus élevé. Le Dr Filsnoël, médecin psychiatre coordinateur au service TCA de la Clinique des Vallées de Ville-la-Grand, nous donne plus d’explications sur cette maladie, ses symptômes, ses complications potentielles et sur la manière de s’en sortir.
SOMMAIRE
Définition de l’anorexie mentale
L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire (TCA) caractérisé par une restriction des apports énergétiques dans le but de perdre du poids. L’anorexie mentale survient le plus souvent entre 14 et 17 ans. Toutefois, les formes prépubères de l’anorexie, dès 9-10 ans, semblent en augmentation dans la population. La survenue d’une anorexie mentale tardive à l’âge adulte est également possible.
On distingue deux types d’anorexie mentale : l’anorexie restrictive et l’anorexie avec crises de boulimie (type accès hyperphagique / purgatif).
L’anorexie restrictive
Il s’agit de la forme d’anorexie mentale la plus répandue. Les patients atteints par cette maladie engagent une restriction alimentaire sur une longue période (régime, jeûne), car ils ont une peur croissante de prendre du poids ou de devenir gros. Ils tentent également de perdre du poids par le biais d’une pratique sportive excessive.
Les personnes souffrant d’anorexie restrictive développent une perception anormale de leur poids, qu’elles voient beaucoup plus important que ce qu’il est en réalité. Elles éprouvent un besoin de contrôle de leur corps et des calories ingérées, pour renforcer le sentiment de maîtrise de leur vie et calmer leurs angoisses.
À l’inverse de la boulimie, l’anorexie restrictive ne compte pas d’accès récurrents d’hyperphagie (gloutonnerie), de vomissements provoqués ou de comportements purgatifs (critère d’exclusion) pendant 3 mois au moins. En outre, les restrictions touchent l’alimentation d’un point de vue quantitatif (nombre de calories ingérées) et qualitative (catégories d’aliments, par exemple gras ou sucrés). Ces restrictions peuvent aussi être plus sélectives et toucher un seul ingrédient ou type d’aliment. Le Dr Filsnoël souligne que les patients souffrant d’anorexie mentale sont souvent des personnes ayant beaucoup d’exigences envers elles-mêmes, mais peu de confiance et une faible estime d’elles. La conduite anorexique éloigne leurs émotions négatives, en créant un état particulier.
Les patients souffrant d’anorexie ont généralement un sentiment de toute-puissance, et sont fréquemment fiers de leur maigreur. Ils en tirent une grande satisfaction qui renforce leur estime et accentue encore le processus de restriction. Le Dr Filsnoël explique que ce cercle vicieux et radical éloigne le sentiment de faim.
L’anorexie avec crises de boulimie ou l’anorexie de type accès hyperphagiques / purgatifs
Environ la moitié des patients atteints d’anorexie mentale vont à un moment donné basculer dans une anorexie avec crises de boulimie et vomissements, voire des comportements purgatifs (utilisation de laxatifs, diurétiques, lavements). Certains patients vont déclencher ces crises de boulimie, parfois très tôt dans la maladie, d’autres parfois plus tardivement, car tous les organismes n’ont pas la même capacité à supporter une restriction totale de nourriture.
Dans le cas d’une anorexie avec crises de boulimie, le patient souhaite contrôler son poids tout en cédant au plaisir que lui procure la nourriture. C’est pourquoi les anorexiques boulimiques alternent crises de frénésie alimentaire et phases anorexiques, pour compenser et garder la maîtrise de leur poids. Le Dr Filsnoël ajoute que ce type d’anorexie avec crises de boulimie crée généralement un sentiment de honte et de culpabilité chez le patient, ce qui aggrave et complique encore davantage le processus.
Quels sont les symptômes de l’anorexie mentale ?
Les symptômes et comportements d’une personne souffrant d’anorexie mentale sont les suivants :
- une restriction alimentaire « volontaire » qui s’impose sur une longue période ;
- une peur obsédante de prendre du poids ;
- une distorsion de l’image de son corps ;
- un intérêt marqué pour la nourriture qui devient obsessionnel ;
- un amaigrissement considérable
- une satisfaction apparente due à la perte de poids et un plaisir évident à renoncer à la nourriture ;
- une obsession pour le sport et l’activité physique ; un surinvestissement intellectuel ;
- une dénégation et un déni de la maigreur parfois extrême ;
- un sommeil perturbé et une humeur qui se dégrade.
D’autres signes peuvent apparaître, provoqués par la dénutrition, comme une pilosité anormale sous forme d’un fin duvet (lanugo), une sensibilité des extrémités au froid et une baisse de la température corporelle, des œdèmes de dénutrition, une sécheresse de la peau ou encore une perte de cheveux.
On notera une disparition de caractéristiques sexuelles secondaires et l’apparition d’une aménorrhée (absence de règles), étant bien souvent un critère de sévérité du trouble. Un ralentissement du rythme cardiaque peut survenir également, de même que des malaises fréquents, qui sont des signes de dénutrition grave.
Reconnaître les premiers signes
Il est crucial de repérer les premiers signes d’anorexie mentale le plus tôt possible, afin de prévenir le risque d’évolution vers une forme chronique et éviter ainsi toutes complications corporelles, psychologiques ou psychosociales graves, potentiellement mortelles.
Plusieurs signes et comportements peuvent alerter la famille et l’entourage :
- La restriction alimentaire peut prendre plusieurs formes. Une adolescente peut se soucier de ce que les autres membres de la famille mangent, s’inviter dans la cuisine pour la sélection des menus, trier ses aliments pour en exclure certains de son assiette. Elle peut aussi décider de sauter des repas, tout mettre en place pour éviter les repas partagés, entamer des périodes de jeûne, acheter des produits allégés, compter ses calories…
- L’hyperactivité peut également alerter l’entourage. Un adolescent ou une adolescente qui va décider de se « prendre en main », de se mettre au sport de manière intense, régulière et compulsive. Faire du sport devient alors une véritable obsession et ce qui était sain et agréable ne l’est plus. L’hyperactivité peut également s’observer dans l’investissement scolaire, associé au perfectionnisme.
- L’image de son corps change drastiquement. Une personne atteinte d’anorexie mentale peut cacher sa perte de poids sous des vêtements amples ou au contraire l’exhiber fièrement.
- Les vomissements se répètent après avoir mangé. Cela peut être le cas d’une jeune femme qui se lève de table à la fin de chaque repas pour aller aux toilettes.
- La prise de laxatifs, de coupe-faim, de diurétiques pour tenter de ne pas grossir peut indiquer une anorexie mentale.
- La potomanie peut aussi être détectée. Il s’agit d’une situation dans laquelle une personne consomme de l’eau ou du café, du thé, des tisanes quotidiennement, à l’excès, allant jusqu’à 3, 5 voire 7 litres par jour, dans le but de se remplir l’estomac et de remplacer la nourriture.
- Plus discrète, une exposition plus importante au froid peut être observée, afin de « brûler des calories ».
- Sur le plan cognitif, on peut voir apparaître de fausses croyances sur la manière dont le corps fonctionne, en particulier le système digestif, mais aussi sur les propriétés des aliments.
Chez l’adolescent, la détection de la maladie peut se faire à l’école, par le médecin de santé scolaire ou l’infirmière. C’est également le rôle du médecin généraliste qui, au cours d’un examen médical, peut constater une perte anormale de poids ou un arrêt de son évolution, un arrêt des règles chez une jeune fille qui ne prend pas la pilule…
Le médecin généraliste peut être amené également à repérer des conduites alimentaires perturbées, en posant des questions telles que « Avez-vous ou avez-vous eu un problème avec votre poids ou votre alimentation dernièrement ? » ou « Est-ce qu’une personne de votre entourage pense que vous avez un problème avec l’alimentation ? », ou encore « Vous sentez-vous coupable après avoir trop mangé ? ».
Le Dr Filsnoël explique que l’anorexie mentale est une maladie qui s’installe insidieusement. L’amaigrissement est progressif et le trouble se structure par étape, c’est pourquoi le délai entre la reconnaissance des symptômes et le diagnostic médical est parfois long.
Les facteurs d’apparition de la maladie
L’origine de ce trouble est multifactorielle : des facteurs personnels de vulnérabilité psychologique (le perfectionnisme est souvent associé aux conduites anorexiques), une vulnérabilité génétique et des facteurs environnementaux avec la prégnance de l’idéal de minceur peuvent être impliqués. Des événements de vie sont également évoqués, comme un départ de la maison ou des études particulièrement stressantes.
Le Dr Filsnoël explique que l’anorexie mentale peut démarrer de plusieurs façons, parfois de manière très banale. En effet, cela peut débuter par un régime, en été par exemple, avant de se mettre en maillot de bain sur la plage. En effet, les femmes sont constamment sous le diktat de l’idéal de minceur qui s’est développé depuis le début du XXe siècle. Dans notre société, on dit aux femmes qu’elles doivent être minces pour être belles, et cela depuis des décennies, engageant celles-ci dans de nombreux régimes. Toutefois, toutes les femmes qui suivent un régime ne tombent pas dans l’anorexie : cela concerne une minorité, au profil plus vulnérable.
L’anorexie mentale peut également se déclencher à la suite d’une authentique prise de poids, lorsque la personne va chercher à la rectifier, ou bien après des remarques négatives récurrentes de la part d’un membre de la famille (les remarques d’un père étant les plus pernicieuses), ou d’un camarade que l’on veut séduire. Dans le milieu du sport de haut niveau, il s’agit souvent des remarques d’un coach sportif…
Le processus d’anorexie mentale peut par ailleurs être initié à la suite d’un trouble psychique, d’une dépression, de troubles anxieux, etc. Mais d’autres facteurs déclenchants ont été observés. Le Dr Filsnoël cite, par exemple, le rôle du microbiote intestinal, ces milliards de bactéries qui nous habitent et nous permettent de vivre. Des études révèlent que des bactéries du microbiote imitant des messages de satiété pourraient jouer un rôle dans l’apparition ou la chronicité de l’anorexie mentale. Le processus inversé a été observé dans l’obésité.
Enfin, des études d’imageries fonctionnelles montrent que, chez les patients souffrant d’anorexie mentale, un véritable processus addictif à la privation alimentaire se développe, contrairement à une personne « lambda » qui active son système de récompense lorsqu’elle mange. L’anorexie mentale est donc un trouble du comportement alimentaire (TCA) qui renferme encore de nombreuses inconnues.
Les complications et évolutions l’anorexie mentale
En plus des symptômes précédemment cités (perte de poids extrême, arrêt des règles, malaises…), l’anorexie engendre un grand nombre d’autres conséquences sur la santé de l’individu.
Sur le plan physique, on observe une interruption de la croissance chez les plus jeunes, une infertilité ou encore une ostéoporose qui débute assez rapidement. Le Dr Filsnoël indique qu’il n’est pas rare de voir des patientes de 25 ans ayant la densité osseuse d’une femme de 75 ans ou plus. Il s’agit d’une complication sévère mais silencieuse, qui se révèle généralement à l’apparition de fractures répétitives, à défaut de dépistage.
Le Dr Filsnoël insiste également sur le fait que, pour les patients qui vomissent ou abusent de laxatifs, le risque majeur, et parfois mortel, est l’hypokaliémie. En effet, à chaque vomissement, le patient rejette une part importante de potassium, un minéral indispensable au bon fonctionnement du muscle cardiaque notamment. C’est pourquoi une hypokaliémie sévère peut entraîner un arrêt cardiaque.
Une autre conséquence, moins dramatique toutefois, est l’érosion de l’émail dentaire. À chaque vomissement, le patient détruit progressivement sa dentition.
Dans les cas de dénutrition sévère, on peut observer des pertes d’efficience cognitive, c’est-à-dire une baisse des capacités intellectuelles chez les personnes malades.
Sur le plan psychique, les conséquences de l’anorexie mentale sont également désastreuses, entraînant dépression et idées suicidaires lorsque le processus perdure. L’anorexie affecte profondément la vie relationnelle au sein des familles et des couples, ainsi que la vie scolaire ou professionnelle des malades.
Le Dr Filsnoël explique qu’au-delà de la mortalité précoce liée à la dénutrition ou au risque suicidaire chez les patients, qui font de cette maladie la plus mortelle des pathologies psychiatriques, on observe des vies brisées par la chronicité encore si fréquente de l’anorexie, notamment chez de jeunes femmes pleines de promesses…
Toutefois, il souligne que de nombreux cas d’anorexie se résolvent spontanément et qu’une part importante des patients peut prétendre à la guérison. Et ce, bien que le risque de rechute soit possible, comme pour toute pathologie dans le champ de l’addiction.
C’est pourquoi les professionnels de santé insistent sur l’importance d’une prise en charge spécialisée la plus précoce possible, afin de multiplier les chances de rémission voire de guérison des patients.
Quelle prise en charge pour l’anorexie ?
La prise en charge d’une maladie telle que l’anorexie mentale est souvent longue et se déroule sur plusieurs mois, voire plusieurs années.
> Une prise en charge multidisciplinaire
Le traitement de ce trouble du comportement alimentaire (TCA) nécessite une prise en charge globale des symptômes de l’anorexie. Que les soins se fassent en ambulatoire ou en hospitalisation, une équipe pluridisciplinaire est nécessaire pour multiplier les chances de résultats.
Les professionnels impliqués dans la guérison du patient sont généralement un médecin psychiatre, un psychologue et un diététicien. Ce qui est important, c’est la cohérence de l’ensemble des intervenants et la cohésion de l’équipe. Il faut idéalement que tous les professionnels de santé impliqués aient le même discours, qu’ils partagent un même modèle, afin de créer un climat de confiance nécessaire à la collaboration avec le patient et sa famille pour les plus jeunes, ou avec le conjoint.
Cependant, la coordination des soins par un médecin psychiatre spécialisé dans la prise en charge des TCA est essentielle pendant toute la durée des soins et du traitement.
> La prise en charge de l’anorexie mentale en ambulatoire
Chez le jeune patient, le diagnostic de l’anorexie peut se faire par le médecin généraliste, par l’infirmière scolaire, par un psychologue, ou encore par les parents qui sont désormais de mieux en mieux informés. Il pourra ensuite être redirigé vers un médecin psychiatre.
Les premières consultations seront cruciales, car il faut aider le patient à reconnaître que sa conduite est problématique, lui faire prendre conscience de toutes les conséquences négatives que celle-ci peut générer à court, moyen et long termes, et lui permettre de comprendre quelles sont les ressources dont il dispose pour s’en sortir. Le début de la prise en charge est avant tout un travail motivationnel, pour aider le patient à s’engager dans un travail collaboratif nécessaire à sa guérison.
À l’âge adulte, c’est souvent le patient lui-même qui décide de consulter un professionnel de santé, car il souhaite enfin se dégager de cet enfermement dont il ne subit que les effets négatifs.
Les professionnels de santé s’autorisent à parler de guérison après 4 ans de rémission, c’est-à-dire lorsque le patient retrouve un poids de santé « normal » sans restriction ou évitement alimentaire, sans altération de la vie sociale liée à la conduite alimentaire, et un équilibre psychique satisfaisant.
En cas de risque vital pour le patient du fait de complications physiques ou bien d’un risque suicidaire, lorsque la cellule familiale ne peut plus faire face ou que la prise en charge en ambulatoire ne donne pas de résultats, l’hospitalisation sera nécessaire, voire urgente.
Notre expert va plus loin
« Génétique et biologie de l’anorexie » du Dr Stéphane Mouchabac, membre du comité scientifique Inicea.
La Clinique Jouvence Nutrition à Dijon, la Clinique des Vallées à Annemasse et la Clinique de Vontes à Tours sont des établissements Inicea qui proposent des prises en charge des troubles du comportement alimentaire, en hospitalisation complète et/ou de jour. N’hésitez pas à les contacter pour avoir plus d’informations sur les prises en charge proposées.
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