Quelles sont les particularités d’un trouble du comportement alimentaire ? Quelles sont les pathologies les plus fréquentes et les symptômes associés ? Quels spécialistes consulter pour s’en sortir ? Explications avec le Dr Filsnoël, médecin psychiatre coordinateur au service TCA de la Clinique des Vallées à Ville-la-Grand.

 

Sommaire

Qu’est-ce qu’un trouble du comportement alimentaire ?

Un trouble du comportement alimentaire (TCA) est une pratique alimentaire « anormale » associée à une grande souffrance psychique, qui s’installe durablement et dont les conséquences pour la santé de l’individu peuvent être graves. Dans ce type de maladie mentale, les attitudes face à son corps, à son poids et à la nourriture sont perturbées. Le fonctionnement psychosocial et la qualité de vie y sont également très altérés.

L’origine des TCA est multifactorielle et mal connue. On considère qu’il existe pour un individu des facteurs de vulnérabilité (terrain génétique ou biologique), des facteurs précipitants (régime alimentaire strict, puberté, modifications hormonales, évènement de vie stressant) et des facteurs de maintien du trouble (déséquilibres biologiques induits, bénéfices psychologiques ou relationnels).

Les troubles du comportement alimentaire apparaissent généralement à l’adolescence et concernent majoritairement les femmes. Toutefois, ils peuvent également survenir chez les hommes, se déclencher pendant l’enfance ou à l’âge adulte.

Certains auteurs mentionnent que les comorbidités touchent jusqu’à 70 % des personnes souffrant de troubles alimentaires : troubles de l’humeur (plus de 40 %), troubles anxieux (+50 %), comportements d’automutilation (+20 %) et consommation de substances (+10 %).

Les différents types de troubles alimentaires

On dénombre dans la classification internationale du DSM-5 plusieurs grandes catégories de troubles du comportement alimentaire. Les plus courants sont l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie boulimique. D’autres TCA tels que les troubles de l’ingestion des aliments (PICA, mérycisme, restriction ou évitement de l’ingestion d’aliment) sont plus atypiques.

Ces affections complexes engendrent généralement une grande souffrance chez les patients, c’est pourquoi elles nécessitent une prise en charge adaptée, le plus tôt possible. Par ailleurs, bien que le calcul de la prévalence de ces troubles soit difficile à estimer, certaines études considèrent qu’ils touchent entre 4,8 et 9 % de la population mondiale.

 

> L’anorexie mentale

Il s’agit d’une restriction alimentaire visant une perte de poids significative. L’anorexie mentale se caractérise par une peur intense de devenir gros, malgré une maigreur apparente et un poids en dessous de la normale (établi à partir de l’IMC). On retrouve aussi des conduites interférant avec la prise de poids, alors que celui-ci est significativement bas.

Les personnes souffrant d’anorexie mentale sont principalement des femmes. La maladie survient généralement après la puberté, lorsque le corps se transforme, et pendant la période de l’adolescence où les enjeux sont multiples et souvent source d’incertitudes.

L’anorexie mentale se caractérise aussi par une altération de la perception du poids et de l’image du corps, proche de la dysmorphobie. Il existe deux types d’anorexie mentale : l’anorexie restrictive, la plus répandue, caractérisée par une perte de poids via le régime, le jeûne et l’exercice physique excessif, et l’anorexie avec crises de boulimie et vomissements (type hyperphagique/purgatif).

Le Dr Filsnoël explique que l’anorexie est la pathologie psychiatrique la plus mortelle, car les complications liées à la dénutrition, en particulier cardiaques, et les risques suicidaires chez les patients sont très importants.

 

> La boulimie

La crise boulimique correspond à l’ingestion d’un volume alimentaire largement supérieur à la normale en un temps limité, de moins de 2 heures en général, de manière compulsive ou ritualisée. La survenue de ces crises est associée à des sentiments de honte, de culpabilité et de perte de contrôle.

Le Dr Filsnoël souligne que les patients souffrant de boulimie sont généralement des personnes impulsives et émotives. On observe souvent chez eux une grande insécurité affective, une estime de soi altérée et une importance excessive portée à l’image du corps.

Les personnes boulimiques mettent souvent en place des comportements compensatoires pour neutraliser leur prise de poids : vomissements, prise de laxatifs ou de diurétiques, périodes de jeûne et exercices excessifs. Les crises de boulimie et les comportements compensatoires surviennent au moins deux fois par semaine pendant trois mois, en moyenne. Elles peuvent en outre devenir pluriquotidiennes et parfois nocturnes. Le nombre de crises par semaine permet par ailleurs de quantifier le niveau de sévérité.

Les troubles boulimiques peuvent être associés à d’autres types d’addictions, tels que l’alcool ou le cannabis. Les patients (en grande majorité des femmes) affichent un poids normal ou sont parfois en sous-poids ou en surpoids. Toutefois, la boulimie peut passer inaperçue aux yeux de l’entourage.
 

Bon à savoir : un retentissement fonctionnel peut être retrouvé chez une minorité des patients.

 

> L’hyperphagie boulimique

L’hyperphagie boulimique, ou accès d’hyperphagie, se présente sous la forme de crises de boulimie incontrôlées et récurrentes, sans comportements compensatoires. Généralement, une certaine restriction est observable, ce qui renforce les pulsions alimentaires. L’absence de comportements compensatoires est ce qui différencie l’hyperphagie de la boulimie.

L’individu va manger de grandes quantités de nourriture en l’absence de sensation de faim, jusqu’à ressentir une pénible distension abdominale. Il recherche cette sensation de distension même si elle est inconfortable. Il mange seul par gêne et va ensuite se sentir coupable et déprimé. Notons en outre que le sex-ratio est moins déséquilibré que celui de la boulimie ou l’anorexie.

Cette pathologie, qui génère une grande souffrance psychique, occasionne généralement un surpoids important, voire une obésité, parfois morbide. Encore peu connue, l’hyperphagie est d’ailleurs souvent confondue à tort avec de l’obésité. Pourtant, on n’y retrouve pas de valorisation du surpoids telle que souvent observée dans l’obésité, les comorbidités sont moins nombreuses et l’évolution est plus favorable lorsqu’une prise en charge psychologique adaptée est proposée. Dans le traitement de cette pathologie mentale, la mise en place d’un régime ne sert à rien. Un mauvais diagnostic de cette maladie peut avoir des conséquences désastreuses et aggraver encore davantage le trouble.


> Le trouble des conduites alimentaires non spécifié

Le trouble des conduites alimentaires non spécifié est un diagnostic du DSM-5 utilisé pour qualifier toutes les problématiques qui ne répondent pas précisément aux critères des troubles du comportement alimentaire spécifiques, tels que l’anorexie mentale, la boulimie et l’accès hyperphagique. Les médecins peuvent l’utiliser par exemple lorsqu’ils ne disposent pas de toutes les informations nécessaires pour évoquer un diagnostic précis de TCA.

Le Dr Filsnoël précise que, bien que ces formes ne rentrent pas dans les cases de durée, de fréquence ou encore de symptômes définis par le DSM-5, cela ne veut pas dire que le patient n’est pas en souffrance et n’a pas de réel problème.


> Le mérycisme

Il s’agit d’une régurgitation ou d’une re-mastication des aliments qui peut durer des heures. Ceux-ci sont à nouveau mastiqués, ruminés, puis généralement ravalés, en l’absence de nausées ou de sentiment de dégoût. Cette pratique, qui « remplace » l’alimentation adaptée, a pour objectif de tromper la frustration de faim, et survient après un repas.

Dans le DSM-5, il est précisé que cette conduite doit être fréquente, répétée, et donc « survenir plusieurs fois par semaine, en principe quotidiennement ». Le mérycisme peut en outre débuter à tout âge, dès la première enfance. L’impact chez les nourrissons est particulièrement négatif, du fait des risques de carence qu’il induit.

Le mérycisme est un trouble du comportement alimentaire lié à la notion de plaisir. En effet, par cette remontée volontaire des aliments, la personne revit, inconsciemment ou non, la satisfaction qu’elle a vécu lorsqu’elle les a ingérés. Le mérycisme est souvent associé à l’anorexie mentale.

Comme pour d’autres troubles du comportement alimentaire, la personne qui en souffre développe généralement une véritable dépendance à cette pratique.


> L’hyperphagie nocturne

Il s’agit d’une prise alimentaire non contrôlée, excessive, pendant la nuit. L’individu se réveille pour aller manger copieusement. Il va ainsi manger rapidement, de manière compulsive, sans être capable de refréner cette envie.

Cette conduite alimentaire peut se produire dans un état de demi-sommeil, la personne n’en étant pas toujours consciente. Le lendemain, elle se réveille avec un souvenir plutôt imprécis de ce qu’elle a consommé pendant la nuit. Le diagnostic d’hyperphagie nocturne est posé lorsque cette conduite alimentaire survient plus de deux fois par semaine, pendant au moins six mois.


> La potomanie

La potomanie est un trouble du comportement alimentaire qui se définit par un besoin irrépressible de boire en grande quantité, principalement de l’eau (polydipsie) ou de l’alcool (dipsomanie). Les personnes atteintes de potomanie peuvent boire jusqu’à 10 litres par jour, voire davantage.

Ce trouble alimentaire s’inscrit dans une volonté de se purger, se purifier, se nettoyer. Il peut également avoir pour objectif de se remplir l’estomac au maximum et être associé à une anorexie mentale. Dans ce cas-là, boire en grande quantité sert à supporter la sensation de faim.

Pour aller plus loin : l’orthorexie, un nouveau TCA ?

Stéphane Mouchabac, membre du comité scientifique Inicea, décrypte ce trouble de plus en plus fréquent.

 

Ce trouble fait actuellement l’objet d’un intérêt croissant. Proposé en 1997 par Steven Bratman, l’orthorexie a pour étymologie les mots grecs orthos, « correct, droit », et orexis, « appétit ». Il s’agit de conduites alimentaires qui reposent sur le désir de se nourrir d’aliments dits « sains » et d’éliminer des apports journaliers ceux qui sont considérés comme « malsains » (matières grasses, hydrates de carbone, sel, produits industriels et préparés, conservateurs). Si la personne est confrontée à des aliments jugés non conformes, alors elle peut éprouver de l’angoisse, avoir un sentiment d’impureté.

On relève que la personne passe un temps significatif à préparer et planifier ses repas pour répondre aux exigences orthorexiques en fonction de considérations personnelles sur les qualités (réelles ou non) des aliments. On retrouve fréquemment associés des éléments motivationnels moraux, religieux ou éthiques ; les valeurs de la personne dépendent « excessivement » de la pureté perçue des aliments.

Bratman considère que l’orthorexie est un trouble des conduites alimentaire, bien qu’elle ne soit pas encore reconnue comme étant une entité spécifique dans les classifications internationales. Selon lui, le fait que l’individu y consacre une part trop importante de son temps au détriment d’autres dimensions de son fonctionnement psychosocial (famille, travail, scolarité, loisirs) souligne aussi son caractère pathologique. Elle partage de nombreuses caractéristiques avec l’anorexie en particulier la préoccupation excessive sur l’alimentation et surtout la dimension restrictive qui peut aboutir aussi à des carences et complications. Très logiquement, on observera une perte de poids qui peut devenir pathologique. Certains sportifs peuvent avoir un profil à risque pour ce genre de comportements (surveillance obsessionnelle de l’hygiène de vie). Ainsi, pour de nombreux spécialistes, il s’agirait d’une porrote d’entrée potentielle vers l’anorexie chez les sujets à risque.

> Le pica

Ce trouble repose sur l’ingestion répétée de substances dont les qualités nutritives sont nulles, mais aussi non comestibles (papier, éponges, savon, peinture, métal, argile, etc.). Le type et la nature des substances varie en fonction de l’âge. Cette conduite doit être répétée dans le temps et jugée grave et ne correspond pas « à une pratique culturellement ou socialement admise ». Il est plus fréquent chez les enfants ayant un handicap intellectuel sévère.

Par convention, le pica n’est pas diagnostiqué chez les enfants de moins de 2 ans, car certaines de ces conduites peuvent faire partie du développement normal. Ces troubles s’accompagnent parfois de carences biologiques, puisqu’il y a une diminution des apports nutritifs et des défauts d’absorption, mais aussi des risques en lien avec le type de produits ingérés : d’occlusion ou perforation intestinale, maladies infectieuses (si ingestion de matières organiques non comestibles) ou intoxications (métaux lourds par exemple).

Il n’y a pas de traitement spécifique du pica, même si certaines techniques comportementales peuvent être proposées.

Quels sont les symptômes d’un trouble du comportement alimentaire ?

Le Dr Filsnoël explique que ce type de maladie commence de manière insidieuse et se structure progressivement. Par exemple, pour les pathologies restrictives, tout peut débuter de manière anodine, par la mise en place d’un régime banal et fréquent dans la population, en particulier féminine, ou avec l’objectif de manger plus sainement. Peu à peu, cette démarche va s’intensifier, se radicaliser et prendre une dimension de plus en plus obsessionnelle et addictive.

L’enjeu est celui du repérage précoce, pour éviter les complications et l’évolution vers une forme chronique de la maladie. Certains symptômes et comportements peuvent alerter :

  • Les conduites alimentaires : Évitement des repas partagés, rejet systématique de certains aliments riches, choix d’aliments allégés, contrôle du poids des aliments, intervention dans la réalisation des courses ou des repas, utilisation de prétextes pour éviter des repas, périodes de jeûne, précipitation aux toilettes après les repas…
  • Le poids : Perte de poids anormale en période de croissance ou rapide et excessive en cas de surpoids initial, prise de poids importante…
  • Les préoccupations liées au physique : Propos récurrents sur l’apparence physique, pratique d’exercices physiques à l’excès, déformation de l’image corporelle, valorisation selon son image corporelle. Parfois, ces préoccupations précèdent ou accompagnent une « reprise en main » sur le plan scolaire ou sportif.
  • Les changements d’humeur : Isolement et repli sur soi, anxiété, pessimisme, dévalorisation, dépression…

Ces comportements sont en général dissimulés et la dénégation du trouble par les personnes qui en souffrent est très fréquente, ce qui représente un frein majeur à la prise en charge.

Qui consulter pour des troubles du comportement alimentaire ?

Le dépistage et le traitement des troubles doivent être le plus précoces possible. Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont des maladies psychiatriques complexes dont l’origine reste encore mal connue. Les causes directes sont rarement identifiables et souvent multifactorielles. Les facteurs de vulnérabilité peuvent être familiaux, génétiques, psychologiques, mais aussi socioculturels.

Il faut être particulièrement vigilant chez les sujets dits « à risque », en particulier les adolescents et les jeunes adultes, les personnes de sexe féminin et ceux ou celles qui ont des antécédents familiaux de TCA. Certaines populations exercent aussi des activités professionnelles considérées comme « à risque » (mannequinat), des disciplines sportives nécessitant le contrôle du poids (danse classique, culturisme) ou comportant des catégories de poids en compétition (arts martiaux, sports de combat).

Les profils et les trajectoires des patients sont variés. Toutefois, le Dr Filsnoël souligne la dimension perfectionniste et anxieuse très fréquente dans l’anorexie, ainsi que l’instabilité émotionnelle. L’impulsivité et l’insécurité affective sont aussi très fréquentes dans le trouble boulimique.

C’est pourquoi le traitement d’un trouble du comportement alimentaire doit se faire de manière pluridisciplinaire et individuelle (adaptée à l’âge du patient et à l’intensité de ses troubles).
Ainsi, plusieurs praticiens de différentes spécialités médicales peuvent intervenir dans la prise en charge :

  • Chez un patient adolescent, le dépistage de la maladie peut d’abord se faire par l’infirmière ou le médecin scolaire.
  • Le médecin généraliste joue généralement un rôle central. Il peut identifier au plus tôt le trouble alimentaire lors d’un examen médical de routine, devant une perte de poids ou une aménorrhée, par exemple. Il va ensuite orienter le patient vers les soins les plus adaptés et l’accompagner tout au long de son traitement.
  • Le psychiatre joue un rôle de premier plan, puisqu’il va tenter de mobiliser la motivation au changement du patient et l’aider à déconstruire les mécanismes qui structurent et entretiennent le trouble. L’objectif est de travailler en collaboration avec le patient afin d’identifier les facteurs psychologiques de vulnérabilité à l’origine du trouble du comportement alimentaire. Le psychiatre a également un rôle de coordinateur entre tous les autres intervenants (médecin généraliste, psychologue, diététicien, familles, etc.).
    Pour le Dr Filsnoël, ce travail en réseau est essentiel. La cohérence et la complémentarité des interventions permettent au patient de mobiliser toutes les ressources nécessaires au changement. Ce sont des suivis qui s’inscrivent dans la durée.
  • Le diététicien ou médecin nutritionniste va réapprendre au patient à manger de manière saine, équilibrée et diversifiée, en l’aidant à corriger de nombreuses idées erronées sur les aliments. Il lui apprendra à évaluer ses besoins, lui expliquera comment fonctionne son métabolisme et comment réguler son poids. Selon le trouble du comportement alimentaire à traiter, il adoptera une approche différente. Dans le cas d’une anorexie mentale par exemple, il accompagnera le patient dans la reprise d’un poids de santé, indispensable pour obtenir une rémission du trouble.

Le Dr Filsnoël explique que guérir d’un trouble du comportement alimentaire (TCA) prend parfois des mois, voire des années. La prise en charge en ambulatoire est d’abord favorisée. L’hospitalisation sera nécessaire en cas de complications physiques, psychiques ou d’urgence vitale (dénutrition sévère, risque suicidaire ou d’auto-agression) ou lorsque l’environnement familial est débordé et devient un facteur péjoratif.

La Clinique Jouvence Nutrition à Dijon, la Clinique des Vallées à Annemasse et la Clinique de Vontes à Tours sont des établissements Inicea qui proposent des prises en charge des troubles du comportement alimentaire, en hospitalisation complète et/ou de jour. N’hésitez pas à les contacter pour avoir plus d’informations sur les prises en charge proposées.

 

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